Plongée dans l’art du soin : une art-thérapeute auprès des patients atteints de cancer

Bonjour Laurence, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ? Comment êtes-vous devenue art-thérapeute, et en particulier auprès de patients atteints d’un cancer ?

À 40 ans, j’ai décidé de reprendre des études, un véritable tournant dans ma vie. À l’époque, j’étais publicitaire, mais une série d’épreuves personnelles entre mes 30 et 40 ans m’a poussée à réfléchir au sens de ma vie. Mon travail n’avait plus d’écho pour moi, et mon besoin de créativité devait s’exprimer autrement. J’ai intégré l’une des rares formations en art-thérapie disponibles en France à l’époque. Pendant ces trois ans d’études, plusieurs expériences marquantes ont façonné mon parcours : un deuil familial, le cancer d’une amie proche, et mon intérêt pour l’accompagnement des enfants. J’ai réalisé mon mémoire sur l’art-thérapie et le cancer, un sujet presque inédit en France, en m’inspirant de recherches menées au Canada et aux États-Unis. En 2003, j’ai fondé un premier programme dans un hôpital. Rapidement, les patients et les soignants nous ont sollicités pour étendre ces interventions à d’autres publics, notamment les femmes atteintes de cancer. Aujourd’hui, nous avons développé des programmes dans d’autres structures mais aussi pour les adolescents hospitalisés en Onco-hématologie et médecine interne. Ces 20 années ont été marquées par des réussites, mais aussi par des défis, notamment financiers, qui restreignent parfois notre action. Pourtant, l’art-thérapie reste pour moi une aventure profondément humaine, porteuse de sens et d’espoir, et je suis fière de voir son impact dans la vie de tant de patients.

Comment définissez-vous l’art-thérapie et en quoi est-elle différente des autres formes de thérapies ?

Pour moi, l’art-thérapie, en tant que soin de support en cancérologie, est un espace d’expression de soi au-delà des mots. Elle reconnecte les patients à leurs émotions et à leur corps grâce à des processus créatifs, loin du grand A des galeries d’art. Ici, tout passe par le toucher, les intuitions, le non-verbal, et l’exploration sensorielle, en mettant le mental de côté. Cette approche aide à mieux se comprendre, à entendre ses besoins et à trouver du sens, même face à la maladie. C’est une démarche profondément humaine, qui accompagne chaque patient là où les mots échouent.

Quelle place l’art-thérapie occupe-t-elle dans l’équipe pluridisciplinaire de soins ? Comment travaillez-vous avec les autres professionnels de santé ?

L’art-thérapie s’affirme en cancérologie comme un soin de support fondamental. Chaque patient bénéficie d’un entretien individuel pour évaluer ses besoins et adapter l’accompagnement en groupe. Cette approche, personnalisée en fonction de chaque situation, se déploie en collaboration étroite avec les équipes médicales et de direction. L’art-thérapie aide chacun, quel que soit son parcours, à trouver du sens et à amorcer une reconstruction.

Quelles formes d’expression artistique les patients préfèrent-ils généralement ? Y a-t-il des techniques qui les touchent plus particulièrement ?

Dans nos ateliers d’art-thérapie, chaque séance suit un protocole structuré, adapté aux besoins des patients. Nous travaillons avec une palette variée de mediums artistiques : collage, écriture, dessin, peinture, ou techniques mixtes, afin que chacun trouve sa propre voie d’expression. Les séances commencent souvent par une visualisation guidée, inspirée de techniques comme la sophrologie, pour aider les participants à se recentrer et à entrer en douceur dans le processus créatif. Chaque étape a un objectif précis, favorisant un cheminement progressif et sécurisé, avec un équilibre entre guidance et liberté, pour maximiser les bienfaits thérapeutiques.

Comment les patients réagissent-ils généralement aux ateliers d’art-thérapie ? Existe-t-il des résistances chez certains patients, et comment les surmontez-vous ?

Avant de commencer, chaque patient bénéficie d’un entretien individuel. C’est un moment clé pour comprendre ses attentes, ses doutes, et parfois ses fausses croyances comme « Je ne suis pas créatif » ou « J’ai deux mains gauches. » Dès les premières séances en groupe, ces barrières tombent grâce à la dynamique collective et à l’accessibilité des matériaux, simples et familiers. Tout le monde peut créer, et c’est un plaisir de voir cette transformation. En fin de parcours, un nouvel entretien individuel permet de mesurer les progrès réalisés, souvent bien au-delà des attentes initiales, révélant des facettes insoupçonnées de leur personnalité.

Dans votre pratique, avez-vous remarqué des changements dans la manière dont les patients se perçoivent ou perçoivent leur maladie grâce à l’art-thérapie ?

L’art-thérapie, c’est un havre de paix au coeur d’un parcours épuisant. Entre les traitements, les consultations et la fatigue, cet atelier devient souvent pour les patients « le seul rendez-vous où je peux vraiment souffler, » nous confient-ils. Pendant une heure et demie, ils s’autorisent à ralentir, dans un espace de douceur et de respect. À travers la création, ils explorent leurs émotions, libèrent leur mental et découvrent des forces insoupçonnées. Ces cercles de patients, véritables bulles de solidarité, permettent des échanges sincères et profonds, où chacun se sent entouré et compris, même face aux défis les plus intimes.

En quoi l’art permet-il de traverser la souffrance psychologique liée au cancer, de manière différente d’une approche verbale classique ?

L’art-thérapie joue un rôle essentiel dans la gestion de la souffrance psychologique liée au cancer. Elle permet de traverser la maladie différemment, en apportant des bénéfices concrets à la fois émotionnels et physiques. Des études, dont une menée en 2016, montrent que cette approche non verbale contribue à réduire le stress, la colère et les signes de dépression. Les patients ressentent une amélioration de leur vitalité et de leur confiance en soi, notamment grâce à l’engagement du corps dans le processus créatif, loin des traitements médicaux.

Plus qu’une simple activité, l’art-thérapie est un moyen puissant d’expression qui libère les émotions et crée des liens de soutien entre les patients. Elle favorise également une meilleure communication, permettant aux patients d’exprimer leurs besoins et de se sentir entourés et compris.

Vous travaillez avec des patients à différents stades du cancer. L’art-thérapie peut-elle être adaptée à chaque situation, et si oui, comment ?

Dans l’art-thérapie, chaque étape du cancer est prise en compte de manière sensible. Que ce soit en début de parcours, en pleine phase de traitement ou même en rémission, cette approche est flexible et adaptée à chaque situation. Ce qui rend cette méthode si forte, c’est la dynamique du groupe. Les patients, de tous âges et à chaque étape de la maladie, se soutiennent mutuellement, leurs différences devenant une richesse. L’art-thérapie permet de créer un espace où ils peuvent partager, mais toujours dans le respect de leur intimité et de la discrétion.

L’art-thérapie a-t-elle un rôle à jouer dans la gestion de la douleur et dans la réduction du stress lié aux traitements du cancer ?

L’art-thérapie peut jouer un rôle essentiel dans la gestion de la douleur, notamment pour les patients souffrant de douleurs chroniques ou liées aux traitements du cancer. En travaillant sur des activités manuelles, elle permet de « déconnecter » l’esprit de la douleur, créant ainsi une sorte de pause, un moment où l’on peut oublier, même temporairement, les souffrances physiques.

Bien que les traitements aient beaucoup évolué au fil des années, offrant de meilleurs soins aux patients, la douleur psychologique demeure une grande difficulté, particulièrement en ce qui concerne la perte de plaisir ou la transformation de l’image corporelle. L’art-thérapie contribue à restaurer un sentiment de contrôle et de plaisir, en permettant à chaque patient de redécouvrir ses sensations et de retrouver confiance en soi. C’est un moment où la douleur peut être mise en retrait, favorisant ainsi un mieux-être global.

Comment les proches des patients réagissent-ils face à l’art-thérapie ? En avez-vous observé des bénéfices aussi chez eux ?

L’art-thérapie offre bien plus que des moments de détente, elle devient un véritable miroir de la transformation intérieure des patients. Les proches, souvent bouleversés, retrouvent une lueur d’espoir en voyant leur être cher repartir avec le sourire, plus serein et plus vivant. Parfois, cela réveille même leur propre créativité, des portes oubliées s’ouvrent, et ces moments de partage deviennent une source précieuse de lien et de guérison.

Enfin, comment voyez-vous l’avenir de l’art-thérapie dans les soins de support pour les patients atteints de cancer ? Quelles évolutions ou perspectives vous enthousiasment particulièrement ?

L’avenir de l’art-thérapie dans les soins de support en cancérologie est prometteur, mais freiné par des défis financiers et un manque de reconnaissance officielle. Bien que cette approche offre des bénéfices émotionnels et psychologiques indéniables, les obstacles à son financement et à sa validation scientifique restent trop importants. Pour se développer pleinement, l’art-thérapie nécessite une prise de conscience collective, une évolution des mentalités et un soutien institutionnel renforcé. Une reconnaissance plus large du professionnalisme de ces intervenants est essentielle pour lui accorder la légitimité qu’elle mérite.

Un grand merci à Laurence pour ce partage d’expérience qui met en lumière l’impact de l’art-thérapie sur les patients atteints de cancer.

Cette approche, à la fois humaine et créative, offre un soutien émotionnel précieux et ouvre des portes vers la guérison. En espérant que l’art-thérapie trouve écho et soutien dans les années à venir.